Fracture du Belenenses

Tout bon portugais connaît l’historique club d' "Os Belenenses" qui est l’un des plus importants de la ville de Lisbonne et du Portugal. Arborant le symbole de la croix du Christ c’est l’un des seuls, à part les dénommés « trois grands Portugais (Porto, Benfica, Sporting) », et Boavista, à avoir remporté le titre de champion du Portugal en 1945/46.

L'équipe de Belenenses championne en 44/45

L'équipe de Belenenses championne en 44/45

Dans cette équipe jouait d’ailleurs un certain Artur Quaresma grand-oncle du fameux Ricardo Quaresma et d'autres noms prestigieux comme Antonio Feliciano et Rafael Correia. À cette époque-là, les Azuis disputaient toujours la première place du championnat et finissaient toujours sur le podium de la Liga.

Arthur Quaresma Belenenses

Arthur Quaresma grand oncle de Ricardo Quaresma

 

En 54/55 ils auraient même pu ajouter un deuxième titre à leur palmarès mais malheureusement pour eux, ils ont concédé le nul dans le temps additionnel face au Sporting lors du dernier match du championnat, un but marqué par Feliciano qui offrit le titre à Benfica. Sans ce but malencontreux, qui sait si aujourd’hui on parlerait non de trois, mais de quatre grands clubs et les conséquences que cela aurait pu avoir sur le football lusitanien.

Tout ce passé glorieux est aujourd’hui loin derrière et l’équipe est désormais plongée dans la plus grosse crise identitaire de son histoire, avec la division du club en deux identités bien distinctes et totalement opposées.

D’un côté :

l’équipe de football professionnelle qui milite en première division et qui appartient à la SAD (Société anonyme sportive) dont l’actionnaire majoritaire est « Codecity Sports Management » représentée par Rui Pedro Soares qui acquit la majorité du club en 2012.

Et de l’autre :

le club avec toutes les modalités, rugby, futsal, athlétisme ainsi que le patrimoine, nom, logo, stade etc. et qui appartient aux supporteurs « socios » qui gagnent un droit de vote et de regard sur la vie du club en échange d’une cotisation mensuelle.

La corde s’est définitivement rompue entre les deux parties en ce début de saison, date à laquelle le protocole de coopération est arrivé à son terme et qui n’a pas été renouvelé à la suite de désaccords parfois violents qui remontent à bien loin déjà. Et pour l’instant, judiciairement, le grand perdant de cette bataille c’est la SAD mais sportivement, c’est aussi et surtout le football portugais qui se voit orphelin de l’un de ses clubs historiques en première division. Désormais l’équipe professionnelle (si vous suivez bien qui appartient à Codecity) a été interdite, ou plus clairement expulsée de l’enceinte mythique du club, le stade du restelo pour ses matchs à domicile et donc exilée au stade national du Jamor à Oeiras, près de Lisbonne.

Stade du Restelo

L'enceinte du club d'Os Belenenses, le stade du Restelo

 

Comme si cela n’était pas suffisant, le club (qui lui appartient aux socios si vous suivez toujours) a décidé de recréer une équipe de football et qui évolue depuis le début de la saison en district de Lisbonne, sous la bannière de la croix du Christ et qui porte également le nom d'Os Belenenses FC ». Deux équipes, avec les mêmes couleurs, le même logo, le même palmarès et le même historique.

Cela peut prêter à confusion n’est-ce pas ?

 

L’imbroglio Juridique

Dès que l’annonce a été faite par le club (qui appartient aux socios) de créer une équipe de football qui milite au fin fond du District de Lisbonne, la SAD (qui appartient à Codecity), juste après son expulsion du stade du Restelo, a immédiatement réagi en essayant d’interdire à cette équipe le droit de pouvoir réaliser ses démarches administratives pour son inscription en district. Légalement impotente, la SAD s’est contenté d’avertir : « tant que l’équipe évolue en amateur on ne peut rien faire, mais si l’équipe venait à rejoindre les championnats professionnels on fera tout ce qu’il faut pour faire valoir nos droits, il ne peut y avoir deux équipes de Belenenses dans les championnats professionnels Portugais »

C’est justement afin de se prévaloir de ce possible cas de figure que le club (qui appartient aux Socios) a décidé de prendre les devants, réclamant le droit de propriété sur le nom, le Logo et l’histoire du club devant les tribunaux compétents. Si ces affaires juridiques sont encore loin d’être tranchées, le club a récemment obtenu une victoire. En effet, Ils ont temporairement obtenu l’interdiction d’utilisation du logo de la croix du Christ par la SAD qui s’est vu contrainte de changer de symbole à la dernière minute juste avant le match contre Benfica lors de la 25e journée de la Liga Nos après la décision du tribunal de la propriété intellectuelle.

Logo du Belenenses SAD

Nouveau logo de Belenenses SAD

 

Une équipe sans âme, sans racines…

Si dans la majorité des pays du « Big Five », Angleterre, Italie, France, Allemagne excepté l’Espagne ou la majorité des équipes de football sont détenues par des capitaux privés, au Portugal toutes les tentatives de privatisation ont jusqu’à présent été un échec retentissant. Dans cet article-là, on parle de Belenenses, mais on peut aussi citer Beira-Mar autre club historique portugais dont la privatisation a été catastrophique, la tentative d’achat avortée à l’Academico de Viseu, ou encore l’équipe de Feirense sur le point de descendre en deuxième division.

Car au Portugal, la culture foot est bien particulière et différente de ce que l’on trouve ailleurs dans le monde. Pour s’identifier à une équipe, les supporteurs ont besoin de prendre racine, dans leur village, leur ville, leur stade. La nostalgie d’avoir vu un membre de sa famille y jouer, ou tout simplement avoir vibré lors de conquêtes et d’épopées épiques. Tout cela avec l’investissement bénévole et où financier des gens, des entreprises locales, qui crée une identification et une cohésion autour d’une équipe, d’un club qui enflamme les débats télé, les discussions au café du coin. Et c’est pour cette raison qu’hormis Belenenses et Feirense, dans tous les clubs de première division portugaise la majorité est détenue par les socios.

La culture foot portugaise a ses spécificités uniques en son genre. L’éventualité de franchiser une équipe de Football n’a pour le moment pas sa place au pays des champions d’Europe.

Le meilleur exemple c’est, pour revenir au sujet principal de notre article, Belenenses. Pourtant en première division face aux meilleures équipes du pays, l’équipe de Belenenses SAD ne représente plus rien. Elle ne joue plus au Restelo et ne représente donc plus ce coin de Lisbonne ou est né le mythique « pastel de nata » qui fait les délices des touristes mais bien sûr aussi, des locaux. Belenenses SAD n’est juridiquement plus l’équipe mythique qui a remporté le titre de champion du Portugal en 45/46, ce club où ont évolué de grands noms du football portugais. En somme on peut poser la question quant à ce qu’elle représente non ? Pour l’instant en tout cas, elle ressemble juste à une marque détenue par le privé auquel personne ne s’identifie.

Les bons résultats de l’équipe cette saison qui joue encore une place en Europa League et dont le football proposé est extrêmement attractif et plaisant avec un entraîneur charismatique, Silas et une bonne structure de football n’y changent rien. À chaque match à domicile de l’équipe professionnelle, l’image renvoyée par les télés à l’étranger est dramatique. Parfois, seuls quelques centaines de spectateurs sont présents (et souvent la majorité sont les visiteurs) au stade du Jamor sous un silence assourdissant. D’après les données officielles de la Liga Portugal, et desquelles nous avons volontairement retiré celles face à Porto et Benfica (qui remplissent chaque stade du pays), le Belenenses SAD à une moyenne d’assistance de 1 658 spectateurs par match et possède le pourcentage d’occupation le plus faible du championnat, avec 9,97% de la capacité du stade seulement occupée…

On peut donc vous poser la question à vous chers lecteurs. Dans ce genre de situation, pour qui joue cette équipe ? Que, ou qui représente-t-elle ?

Alors que dans le même temps, l’équipe détenue par le club et qui joue, rappelons-le, en district évolue devant des milliers de supporteurs, même si dans ce cas il est difficile de donner un chiffre précis à cause du statut amateur.

Public de Belenenses

Images des assistance de l'équipe de Belenenses en district

 

Une chose est certaine, c’est le championnat portugais qui est perdant dans cette histoire, avec la énième descente d’un club historique de la Liga Nos. Mais peut-être que cela servira de rappel à certains qui avaient l’intention de privatiser leur équipe de football.

Au Portugal, capitaux privés et le football ne font pas bon ménage…